En voilà un bien beau bijou pour commencer dignement 2016; si toutes les lectures de cette année à venir pouvaient être aussi magiques….
Sans l’oeil expert de ma tendre Noukette, il y a fort à parier que je ne me serais pas penchée sur ces Otages Intimes, n’étant pas fan des » petits » livres; le sujet du retour au pays d’un photographe de guerre après un long séjour en captivité ne m’attirait pas particulièrement; cela aurait été une bien belle erreur, j’en conviens!
D’abord, il y a cette plume, fluide et pure: des phrases courtes, des mots clés efficaces, un enchaînement des idées logique, un cheminement de la pensée si agréable à suivre. Otages Intimes a été pour moi, une pause dans ce passage du temps toujours plus anxiogène, une bulle de paix.
Si l’otage évident de ce récit à plusieurs voix est Etienne et si l’histoire semble être celle de son difficile ( impossible? ) retour au monde, le lecteur se rend vite compte que chacun des personnages évoqués ( geôliers compris ) est lui aussi prisonnier, otage d’une partie de lui-même. L’idée étant que nous sommes tous des territoires occupés, tous en état de confinement.
Les histoires individuelles sont autant de miroirs qui viennent apporter un éclairage nouveau sur celles des autres. Le tout est fait avec beaucoup de finesse, de subtilité, mais Dieu merci suffisamment de clarté pour que le lecteur comprenne ( car oui, je pense avoir compris une bonne partie du propos, et ce n’est pas si courant, hein?).
J’ai eu un gros coup de coeur pour certains des personnages, à savoir Irène, la mère du photographe, fragile et forte figure maternelle qui n’est pas sans sa part d’ombres et de secrets, et Emma, l’amante délaissée, trop longtemps prisonnière de l’attente de l’être aimé.
Otages Intimes, c’est aussi le trio magique : Etienne, Enzo et Jofranka, formé dans l’enfance, fraternité symbole d’espoir mais aussi de possibles confinements, de non-dits. J’avoue avoir eu du mal à cerner Enzo, le fils de l’Italien; Jofranka, « la petite qui vient de loin » fait partie du monde, elle a su y trouver sa place, l’apprivoiser, ce qui ne m’a pas permis de l’apprécier pleinement: trop en harmonie avec son entourage pour attirer ma sympathie.
J’ai été assez surprise par les dénouements proposés pour chacun des personnages; je ne m’attendais pas à ces portes ouvertes vers des lendemains meilleurs.
Une très belle lecture pour laquelle je remercie à nouveau ma Noukette adorée et l’opération des Matchs de la Rentrée Littéraire 2015 organisée par Price Minister qui a permis une si émouvante découverte. Nul doute que je chercherai à lire d’autres romans de Jeanne Benameur!
Le Pitch de l’éditeur:
Photographe de guerre, Etienne a toujours su aller au plus près du danger pour porter témoignage. En reportage dans une ville à feu et à sang, il est pris en otage. Quand enfin il est libéré, l’ampleur de ce qu’il lui reste à ré-apprivoiser le jette dans un nouveau vertige, une autre forme de péril. De retour au village de l’enfance, auprès de sa mère, il tente de reconstituer le cocon originel, un centre duquel il pourrait reprendre langue avec le monde. Au contact d’une nature sauvage, familière mais sans complaisance, il peut enfin se laisser retraverser par les images du chaos. Dans ce progressif apaisement, se reforme le trio de toujours. Il y a Enzo, le fils de l’Italien, l’ami taiseux qui travaille le bois et joue du violoncelle. Et Jofranka, l’ex petite fille abandonnée, avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes de guerres à trouver le courage de témoigner. Ces trois-là se retrouvent autour des gestes suspendus du passé, dans l’urgence de la question cruciale : quelle est la part d’otage en chacun de nous ? De la fureur au silence, Jeanne Benameur habite la solitude de l’otage après la libération. Otages intimes trace les chemins de la liberté vraie, celle qu’on ne trouve qu’en atteignant l’intime de soi.
Les premières lignes:
Il a de la chance. Il est vivant. Il rentre.
Deux mots qui battent dans ses veines Je rentre. Depuis qu’il a compris qu’on le libérait, vraiment, il s’est enfoui dans ces deux mots. Réfugié là pour tenir et le sang et les os ensemble. Attendre. Ne pas se laisser aller. Pas encore. L’euphorie déçue, c’est un ravage, il le sait. Il ne peut pas se le permettre, il le sait aussi. Alors il lutte. Comme il a lutté pour ne pas basculer dans la terreur des mois plus tôt quand des hommes l’ont littéralement “arraché” de son bord de trottoir dans une ville en folie, ceinturé, poussé vite, fort, dans une voiture, quand toute sa vie est devenue juste un petit caillou qu’on tient serré au fond d’une poche. Il se rappelle. Combien de mois exactement depuis ? il ne sait plus. Il l’a su il a compté mais là, il ne sait plus rien.
Au fil des pages:
Son pas aura désormais cette fragilité de qui sait au plus profond du coeur qu’en donnant la vie à un être on l’a voué à la mort.. Et plus rien pour se mettre à l’abri de cette connaissance que les jeunes mères éloignent instinctivement de leur sein. Parce qu’il y a dans le premier cri de chaque enfant deux promesses conjointes : je vis et je mourrai. Par ton corps je viens au monde et je le quitterai seul. Il n’y a pas de merci. Et toute cette attente et tout ce travail de l’enfantement mènent à ça…. Irène pense au visage des madones. Mais ce n’est pas au visage qu’on reconnait les mères, c’est à la marche et aucun peintre jamais n’a montré comment marchent les madones : leur pas hésitant, le seul qui vaudrait, on ne peut le contempler sur aucun tableau